La dynastie des Qing (1644-1911)
Avec l’émergence des Qing, la Chine entre dans une nouvelle ère de prospérité. Originaire de Mandchourie et officiellement établie en 1644 cette dynastie se maintiendra au pouvoir jusqu’en 1911 et n’aura de cesse d’assimiler la culture chinoise. Sous son influence, la production céramique à la fois dopée par les exportations massives et le mécénat impérial, accède à une virtuosité technique inégalée.
À la suite d’un incendie qui détruisit la majeure partie des fours de Jingdezhen en 1674, l’empereur Kangxi (1662-1722) comprenant l’importance que pouvait jouer la porcelaine, décide de reconstruire ce gigantesque complexe industriel. Rapidement, la cour et les institutions impériales sont à l’origine d’immenses commandes destinées aux bâtiments tels que palais, temples et autres édifices dépendant des différentes administrations d’Etat. Désormais, ces pièces sortent exclusivement des fours officiels placés sous le contrôle d’un directeur mandaté par l’empereur. En nombre réduits au sein de l’immense manufacture de Jingdezhen, ces ateliers drainent les meilleurs artisans du pays. Parmi les personnages qui en assument la direction, on mentionne d’anciens céramistes renommés dont l’histoire retient principalement trois noms : Zang Yingxuan (1683-1688), Nian Xiyao (1726-1736) et Tang Ying (1736-1753). Chacun d’eux marquera la production de son temps par les orientations particulières qu’il infuse aux décors et aux formes et aux décors.
À l’instar de la porcelaine ming, la céramique des Qing poursuit une évolution stylistique rythmée par les différents règnes. Entre 1683 et 1750, période couvrant les règnes de Kangxi (1662-1722), de Yongzheng (1723-1736) et la première moitié de celui de Qianlong (1736-1795), les plus hautes exigences de qualité en matière de céramique seront satisfaites. Particulièrement abondante, parfaitement maîtrisée au niveau de la conception des matières, des formes et des techniques d’ornementation, la production de porcelaine aboutit à la réalisation d’œuvres pleinement abouties dont la réputation gagnera l’Europe. Cette période d’émulation créative se caractérise par l’épanouissement d’une infinité de techniques et de décors où dominent des couleurs aux nuances subtiles. À bien des égards cependant, ces céramiques restent tributaires des recherches menées sous les dynasties antérieures et reproduisent fidèlement nombre de formules ornementales telles que les monochromes céladons des Song ou les bleu et blanc des Ming. Elles sont également redevables à la période de Transition en ce qui concerne les décors d’émaux transcrits librement sur des formes amples. Ce dernier axe de recherche sera particulièrement exploité et mené à son apogée avec l’émergence des Famille verte et Famille rose. Paysages ou scènes de personnages parviennent à rivaliser avec les créations des peintres de l’Académie.
Durant la période Kangxi la plupart des formes reprennent les modèles issus du passé, toutefois on note l’apparition de silhouettes nouvelles telles que par exemple les vases en forme de queue de phénix. Le vase rouleau de la période de Transition orné de thèmes de lettrés perdure mais accompagnés de motifs impériaux conventionnels liés à l’établissement d’un gouvernement solide et centralisé. C’est aussi sous ce règne qu’un programme de recréation des chefs-d’œuvre du passé est mis en place. On ravive ainsi la fabrication des monochromes rouge de cuivre sous couverte qui avait quasiment cessé depuis le début du xvie. Viennent s’y ajouter les monochromes bleus et les monochromes blancs traditionnels. Il convient également de mentionner des nouveautés comme les monochromes à glaçure turquoise. Les bleu et blanc, souvent porteurs d’une marque apocryphe Chenghua, tiennent toujours une place importante sur le marché intérieur et l’exportation, cependant le développement des décors d’émaux cuits à basse température avec le succès des Familles vertes assied définitivement la prédominance de la couleur. Ces décors issus des wucai sont dominés par une riche palette de verts. Si les premiers exemples de ce groupe utilisent le bleu de cobalt sous couverte dans leur palette, au tournant du xviiie, apparaît un émail bleu sur couverte. L’intérêt que Kangxi porte à ces expérimentations l’incite à la fin de son règne à installer dans l’atelier du palais impérial une équipe chargée de développer une nouvelle gamme d’émaux à partir des techniques des cloisonnés sur métal. L’invention d’un émail rose et d’un blanc opaque à l’arsenic associés aux émaux de la Famille verte donneront naissance tout à la fin de la période aux Famille rose.
Sous le règne de Yongzheng, ces Famille rose occupent une place de choix. Cet émail rose fut longtemps considéré comme le fruit d’un apport technique étranger. Si cependant de récentes découvertes tendent à remettre en cause l’idée d’une technologie importée, il semble néanmoins que l’émail rose occidental ait d’un point de vue esthétique, considérablement influencé sa création. Cette nouvelle harmonie, s’appuie également sur l’invention de l’émail blanc. Celui-ci permet, lorsqu’on le mélange aux autres émaux, d’obtenir des tons pastels qui multiplient les nuances de chaque couleur, permettant l’élaboration des détails même les plus minutieux comme avec la peinture sur soie. De fait, sous le règne Yongzheng, des peintres de la cour contribuent à l’exécution des décors les plus délicats, principalement des motifs de fleurs, d’oiseaux sur une branche ou des personnages. C’est en 1729 soit dans la sixième année du règne de cet empereur que Tang Ying fut nommé au poste de directeur de la manufacture impériale de Jingdezhen. Il y restera jusqu’en 1756. Sous sa férule, les styles du passé sont ravivés et de nombreuses copies des porcelaines ding, des céladons ru des Song, et des bleu et blanc du xve sont reproduits. En outre sa connaissance de praticien et son ingéniosité sont à l’origine de quantité de nouveaux revêtements monochromes aux nuances subtiles, tels que l’émail œuf de rouge-gorge, ou de couvertes poussière de thé décrivant des œuvres song.
L’empereur Qianlong, son successeur, admirateur de la culture chinoise et créateur lui-même, se révèle grand amateur d’antiquités au point de faire établir le Xinqing gujian, un catalogue des reliques du passé hébergées au sein de la collection impériale. Des aspirations de ce personnage et de l’empreinte laissée par Tang Ying à Jingdezhen découle une relance de la production basée sur des modèles du passé. Des bronzes antiques originaux sont envoyés à Jingdezhen pour y être copiés, donnant lieu à une longue chaîne de duplication connaissant tous les degrés de qualité, de la plus raffinée pour les pièces créées à partir du spécimen original, à la plus grossière pour celles qui reprennent les imitations. Quoiqu’il en soit cette chaîne hiérarchisée permet à ces formes empreintes de la tradition d’infiltrer toutes les couches sociales. Pour Qianlong, Mandchou d’origine, il s’agit aussi d’un acte politique dont le but est de renouer avec l’esprit d’antan en l’occurrence, le confucianisme qui prône le retour à l’âge d’or, « Le fils du ciel accomplit sa mission, il agit en médiateur collectant les plus beaux joyaux de l’empire afin de les transmettre à son peuple pour que celui-ci s’en nourrisse. ». Sans doute est-ce à ce même principe que répondent les nombreux exemples d’imitation de bleu et blanc de style Xuande du xve. La recherche de la perfection menée depuis le règne Kangxi constitue, en cette seconde moitié du xviiie, un héritage technique solide recueilli par une main-d’œuvre qualifiée et sûre d’elle-même. En conséquence, nombre d’œuvres deviennent prétextes à prouesses et aboutissent à l’accumulation de savoir-faire différents sur une même pièce. Les motifs ornementaux qui en résultent souvent denses, méticuleusement organisés en symétrie et compartimentés, trahissent parfois une virtuosité démonstrative qui absorbe quelque peu la quête esthétique pure. D’autre part certains ingrédients anecdotiques se font jour : alors qu’en Europe la « chinoiserie » est en vogue, la Chine se pique pour l’Occident. Parfois qualifiée de « chinoiserie à l’envers », cette mode entraîne l’apparition d’œuvres hybrides dont l’excentricité issue de mariages forcés entre formes et décors inadéquats, s’oppose à la pureté qui caractérisait les porcelaines jusqu’alors.
Au sein d’une époque qui ose toutes les hardiesses techniques, apparaissent les prémisses d’un déclin qui se confirme sous le règne Jiaqing (1796-1820). Dès la fin de la période de Qianlong, une récession économique entraîne des coupure sombres dans les dépenses de la cour. Si les formules denses et colorés de l’époque Qianlong trouvent encore un écho sous le règne de Jiaqing, l’absence de crédits les priveront bientôt de la perfection technique.
Lorsque l’empereur Daoguang monte sur le trône en 1821, la situation économique est catastrophique. Les ateliers de poterie assurent un temps la continuation du style Jiaqing, mais rapidement les formules décoratives géométriques sont abandonnées au profit de scènes de jardins, d’enfant jouant ou de papillons, lointaines réminiscences de thèmes abordés sous Yongzheng. Les décors demeurent exécutés avec soin parfois au détriment de la sensibilité esthétique.
Le règne de son successeur, Xianfeng (1851-1861) s’ouvre avec une céramique encore plus raffinée impliquant un retour des artisans talentueux. Le bleu de cobalt sous couverte surtout, reste une des gloires de la période avec ses tonalités brillantes faisant oublier le bleu-gris des pièces Daoguang. Pourtant, c’est à cette époque que de tristes événements sont venus assombrir l’histoire de la céramique avec la destruction de la manufacture de Jingdezhen pendant la rébellion Tai Ping en 1855. Les fours ne sont reconstruits qu’en 1866. Une production utilisant la marque impériale va semble-t-il être assurée par des fours privés, sans toutefois parvenir à maintenir un niveau de qualité équivalent. Cette destruction de Jingdezhen est sans doute la cause d’une nouvelle rupture stylistique entre le style de Xianfeng et celui qui voit le jour sous le règne de Tongzhi (1862-1874). À nouveau, sur les pièces de commande impériale, l’abondance ornementale exigée par l’impératrice douairière Cixi prend le pas sur l’expression poétique. La cour semble cependant s’être entichée également des décors délicatement peints. L’influence de l’impératrice douairière est confirmée sous le règne suivant, celui de Guangxu (1875-1908) puis sous le règne de Xuantong (1909-1911) avec lequel s’éteint la dynastie Qing et l’histoire de la porcelaine impériale.