La période de Transition (1620-1683)
Cette époque mouvementée réunissant la fin de la dynastie Ming et le début de la dynastie Qing (1644-1911), englobe les règnes de Tianqi (1621-1627), Chongzhen (1628-1644), et de Shunzhi (1644-1661), premier empereur Qing, ainsi que les vingt premières années du règne de Kangxi (1662-1722). En ce second quart du xvie, le pouvoir impérial n’est plus que symbolique, de fait il appartient aux eunuques du palais qui entretiennent un système de corruption généralisé. Dans le même temps, à la suite de mauvaises récoltes surviennent de profonds désordres intérieurs. De plus la menace mandchoue devient de plus en plus pressante aux frontières et aggrave encore la situation. Le gouvernement est contraint d’engager de lourdes dépenses militaires pour assurer la sécurité. Les fastueuses commandes de céramique passées par la cour cessent. L’année 1620 en sonne le glas. En conséquence, la production se tourne exclusivement vers le marché privé qu’elle doit conquérir en renouvelant son langage. Elle est désormais seule à refléter l’activité céramique délaissant l’iconographie impériale.
La porcelaine d’exportation participe également de ces initiatives privées. Au cours de la deuxième moitié du xvie, les Occidentaux commencent à s’infiltrer dans les mers du sud de la Chine. Les navigateurs portugais seront les premiers à vouloir acquérir des céramiques chinoises. Ainsi on verra apparaître des pièces de commande destinées à l’Europe. Bientôt les marins hollandais supplanteront les Lusitaniens. Ils maintiendront un réseau commercial actif durant tout le xviie centré autour de la VOC (Verenigde Oost-Indische Compagnie). Cette puissante compagnie créée en 1602, alimente directement le Nord de l’Europe en porcelaine bleu et blanc de Jingdezhen, en grès de Swatow et en statuettes de Dehua, ces deux derniers fours étant situés dans la province méridionale du Fujian.
Si dans le nord de la Chine le pouvoir central s’affaiblit, en revanche au sud du fleuve Bleu un semblant de prospérité est maintenu grâce au commerce international. Ces échanges lucratifs propulsent au sommet de la hiérarchie sociale une classe marchande qui s’enrichit considérablement et singe le bon goût des lettrés. Comme à la période précédente ce milieu argenté imite la façon de vivre de cette élite. Ils s’entourent de céramiques raffinées dans leur cabinet d’étude construit dans des jardins d’agrément. Des échanges inédits ont alors lieu entre deux classes sociales autrefois séparées : d’un côté des marchands enrichis, mais souvent dépourvus d’éducation classique et de l’autre des lettrés cultivés et raffinés, mais connaissant fréquemment des difficultés financières du fait de la fragilité du système gouvernemental. Désormais, la culture du lettré et son art de vivre deviennent un bien de consommation. On assiste alors à la publication de véritables « manuels du parfait gentilhomme », tels les Huit discours sur l’art de vivre de Guo Liang, publié dès 1591, suivi au cours du xviie d’autres ouvrages ayant trait à l’art de vivre. Grâce au développement de l’imprimerie la diffusion des romans abondamment illustrés, tels que Le pavillon de l’Ouest, deviennent une fréquente source d’inspiration pour les décorateurs de porcelaine. Ils vont s’appliquer à transcrire ces scènes romanesques ou théâtrales dans des paysages ou dans des intérieurs accompagnés de colophons. On trouve également d’autres décors abordant des thèmes empreints de vertus confucéennes, bouddhiques, ou taoïstes.
En ce qui concerne l’aspect technique, d’importants progrès voient également le jour : le corps d’un blanc désormais immaculé met en valeur l’ornementation traitée au moyen d’un bleu de cobalt lumineux soigneusement préparé que l’artisan utilise avec art comme une encre sur le papier. Pour permettre à ce nouveau bleu de donner sa pleine mesure, on crée des formes inédites caractérisées par de larges surfaces homogènes sans ruptures, tels les vases rouleaux cylindriques ou les pots à pinceaux sur lesquels les motifs peuvent se déployer librement. Cette nouvelle liberté ornementale s’exprime également au travers de la technique dite wucai ou des « cinq couleurs » qui présente des thèmes figuratifs et floraux, peints avec des émaux polychromes sur couverte. Cette technique connaît des progrès considérables à la fin de la période de Transition et évolue peu à peu vers les décors d’émaux de la Famille verte caractérisés par la présence de plusieurs nuances de vert.
À la fin de cette période de Transition, en 1674, lors d’une rébellion contre les Qing, un terrible incendie ravage les fours de Jingdezhen. Ceux-ci ne seront reconstruits qu’en 1683 sur décision impériale, pour entrer à nouveau sous le contrôle gouvernemental qui s’intéresse à la porcelaine comme outil moderne de propagande à la gloire du souverain, introduisant pleinement la céramique dans l’ère Qing.