Jean-Paul Desroches avec la collaboration de Huei-chung Tsao et Xavier Besse
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La collection Introduction

Introduction

La collection de céramiques chinoises d’Ernest Grandidier constitue l’un des ensembles les plus riches conservés en Occident. Formée il y a plus d’un siècle, elle compte quelque six-mille pièces dont certaines demeurent des joyaux de l’art universel. Plus de deux mille d’entre-elles ont été sélectionnées et réunies sur ce site, fruit d’un long travail de récolement entrepris à partir des années quatre-vingt-dix. Quinze-mille photos, la plupart numérisées, des milliers de fiches informatisées, chaque inscription, chaque marque relevée et traduite – une tâche qui n’aurait pu être menée à bien sans la détermination tenace d’une équipe cohérente et unie.
Qu’il me soit permis de remercier Richard Lambert et Thierry Ollivier pour les prises de vues, Vinca Baptiste et Catherine Pekovits pour l’informatisation, Béryl Chanteux et Xavier Besse pour la programmation, Tsao Huei-Chung pour la traduction. Ce projet dès le départ a reçu le soutien financier de la Réunion des musées nationaux en la personne d’Anne de Margerie, relayée par Michel Richard.

Tout au long de cette aventure Jean-François Jarrige a témoigné de son indéfectible confiance en ne ménageant pas ses encouragements. Toutefois tous ces efforts conjugués n’auraient pu déboucher sur une véritable réalisation concrète sans la rencontre, grâce à Kandice Vettier, avec Jean-Pierre Tirouflet, Président-Directeur de Rhodia. Comprenant immédiatement l’enjeu de notre pari, il n’a pas hésité à nous doter de l’appui substantiel nécessaire. Nous étions désormais en mesure de pouvoir mettre à la portée d’un large public un patrimoine unique.

Cette restitution s’impose d’autant plus aujourd’hui qu’il n’est matériellement plus possible d’aligner dans d’interminables galeries des séries complètes de plats ou de vases. Seuls les jalons significatifs font l’objet d’une présentation permanente. Les autres pièces classées en réserve sont régulièrement consultées par les chercheurs et présentées lors des expositions temporaires. Ce thésaurus gardé dans les sous-sols du musée, grâce aux techniques virtuelles peut entrer maintenant chez chacun d’entre-nous.
Quand on sait le rôle particulier dévolu à la céramique chinoise dans l’échelle des valeurs en Asie orientale, la consultation de cette collection ne peut concerner uniquement les spécialistes mais intéresse toute personne désireuse de pénétrer un univers encyclopédique miroir des arts, des lettres, des techniques, et des coutumes du monde sinisé.

La collection Grandidier

Ernest Grandidier (1833-1912) à qui nous devons cet ensemble inestimable se trouve ainsi réhabilité au rang des grands découvreurs, un collectionneur en effet n’est-il pas à sa façon un inventeur ! Sa passion pour la céramique est née dans les années 1870-80. Il a été précédé dans cet engouement par un xviiie siècle féru de tout ce qui avait trait à la Chine.

Genèse de l’engouement pour la céramique chinoise

En fait l’impulsion initiale est plus ancienne encore, elle émane de l’entourage du roi Louis XIV et se matérialise en quelque sorte avec l’édification en 1668 dans le parc de Versailles du « Trianon de porcelaine ». Dix-huit ans plus tard, à la suite de la réception de l’ambassade du roi de Siam dans la « Galerie des glaces », de nombreuses porcelaines chinoises entrent dans les inventaires royaux. Le succès du voyage de l’Amphitrite, le premier vaisseau officiel missionné par la couronne pour relier à deux reprises la France à la Chine en 1698-1700 et 1701-1703 attise de nouveau le phénomène. Parmi les collections celle du Grand Dauphin est très réputée, recelant des pièces anciennes. Cette ferveur gagne la plupart des cours européennes. En 1710 le Prince Electeur de Saxe, Auguste le Fort (1670-1733) se targue non seulement d’avoir réuni un ensemble fastueux dans son « Palais japonais » qu’il aménage à Dresde mais assure également détenir le « secret » de la porcelaine, ouvrant la voie aux créations de Meissen.
A la même époque François-Xavier d’Entrecolles (1664-1741) rédige ses fameuses lettres à propos de la fabrication de la porcelaine en date du 1er septembre 1712 et du 25 janvier 1722. Ce jésuite, originaire du diocèse de Limoges, que son apostolat va appeler à Jingdezhen, au cœur de la capitale chinoise de la porcelaine, conduira une enquête méthodique. En complément à ces informations, tout au long du xviiie siècle arriveront en France nombre d’albums illustrés reproduisant les différents stades de la fabrication. L’un des exemplaires, conservés à la Bibliothèque Nationale de France porte le sceau de la Bibliothèque Royale, un autre actuellement à la bibliothèque de la Manufacture Nationale de Sèvres fut offert à Henri-Léonard Bertin (1720-1792), Ministre de Louis XV, par le Père Jean-Marie Amiot (1718-1793), un troisième également à Sèvres aurait été rapporté par Chrétien Louis-Joseph de Guignes (1759-1845) qui accompagnait à Pékin l’ambassade hollandaise en 1795.

Un collectionneur éclairé

Tous ces documents vont être longtemps considérés comme les références principales des Occidentaux à propos de la céramique chinoise. En 1910 on verra encore Stephen W. Bushell prendre soin d’accompagner sa traduction du Taoshuo des deux lettres du Père d’Entrecolles placées en appendice à la fin de l’ouvrage. Avant cette parution remarquable, Stanislas Julien, traduisait en 1856 une autre source originale, le Jingdezhen Taolu (« Histoire et fabrication de la porcelaine chinoise »). Savant éminent, membre de l’Institut, il comptait parmi ceux qui guidèrent Ernest Grandidier dans sa quête, au même titre que les marchands avisés que furent Sichel, Heliot ou Bing.

Sous la IIIe République au moment où Grandidier entreprend son projet, la Chine ne bénéficie plus du prestige d’antan. Pour beaucoup de ses contemporains elle est entachée d’une connotation passéiste plus au moins liée avec le Second Empire voire le régime monarchique. Cet élément ne pouvait échapper à notre collectionneur plein de désillusions politiques. Sans doute restait-il quelque peu attaché à une image qu’il s’était forgée quinze ans auparavant au moment de la présentation au Louvre des objets rapportés du Palais d’Eté qui avait suscité un regain d’intérêt. Cette exposition avait d’ailleurs été suivie de la création du Musée chinois de l’Impératrice Eugénie inauguré le 14 juin 1863 au Château de Fontainebleau.

Il semble qu’en donnant au musée du Louvre une grande partie de sa collection en 1894, il ait souhaité s’inscrire dans la continuité des principes qui l’animèrent tout au long de sa vie. Durant cette même année il publie La céramique chinoise, fruit de son expérience et de ses réflexions. Son ouvrage précède d’une bonne dizaine d’années toutes les autres parutions qu’il s’agisse de S.W. Bushell ou R.L. Hobson ou encore E. Zimmermann.

Nommé conservateur de sa collection, il l’installe soigneusement dans l’entresol de la longue « Galerie du bord de l’eau », un espace lumineux scandé de hautes vitrines en verre et armature de bronze. En 1911 alors qu’il ne cesse de compléter son fonds il lègue le reste de sa collection et meurt l’année suivante. La conservation est alors confiée à J-J. Marquet de Vasselot aidé par M-J. Ballot. En 1922, ils publient ensemble un album en deux tomes illustré de nombreuses planches en couleurs : « La céramique chinoise ».

Du musée du Louvre au musée Guimet

Au début des années 30, un jeune conservateur appelé à un brillant avenir, Georges Salles (1899-1966), instaure un département des Arts Asiatiques au sein du Louvre. La somptueuse galerie des porcelaines enchante en 1934 Sir Percival David guidé lors de sa visite par Daisy Lion-Goldschmidt (1903-1999) et Madeleine Paul-David (1908-1989), l’une et l’autre chargées de mission et qui quarante ans durant assureront la conservation de ce patrimoine avec un dévouement exemplaire. Le lieu restera inchangé jusqu’à son évacuation en 1939. Avec l’ensemble des œuvres asiatiques la collection Grandidier sera entreposée dans les caves du Château de Valençay dans la vallée de l’Indre durant la deuxième Guerre Mondiale jusqu’à son transfert en 1945 au Musée Guimet.

Georges Salles devenu alors directeur des Musées de France décide le regroupement des collections asiatiques en un seul édifice. Après promulgation d’un arrêté les céramiques de la collection Grandidier seront installées entre 1946 et 1950 au deuxième étage du musée dans leurs anciennes vitrines. Il en sera ainsi jusqu’en 1974 quand les salles fermeront pour travaux.

En 1975 un important catalogue est publié à l’initiative des Editions Kôdansha, constituant le huitième volume d’une série consacrée aux grandes collections de céramiques d’Extrême-Orient dans le monde, intitulé Gime bijutsukan : Musée Guimet. Il relayait les Petits guides qui seront refondus et réédités à partir de 1980 au moment de l’ouverture au public des salles entièrement rénovées. Les présentations sont allégées avec un souci de clarté pédagogique insistant sur l’évolution des techniques.

Au cours des années 80, les pièces non exposées sont reclassées et disposées dans des réserves réaménagées, un travail permettant de remettre en lumière des œuvres dont l’existence avait été quelque peu oubliée au fil des ans. Lors de cette opération d’inventaire il faut mentionner l’aide apportée par le professeur Satô Masahiko qui découvrit par exemple un fameux bol « Rouge de cuivre » du début du xve siècle, publié dans le catalogue Le jardin des porcelaines, exposition présentée en 1987.

A compter des années 90, la perspective d’une nouvelle restauration du Musée Guimet se dessinant de plus en plus clairement, parallèlement aux actions de fond qui conduiront à la restructuration totale des salles d’exposition et des réserves, était organisée une série de rétrospectives en France ainsi qu’à l’étranger. Certaines de ces manifestations vont permettre d’illustrer des aspects particuliers de l’histoire des arts du feu, qu’il s’agisse des premiers bleu et blanc introduits en Europe avec l’exposition « du Tage à la mer de Chine » en 1992, de la poterie antique avec « Chine des origines » en 1994 ou de l’art de la coroplastie avec « Des chevaux et des hommes » en 1995.

A l’issue de cette dernière présentation le musée allait faire l’objet d’une complète réhabilitation cinq ans durant. Quand il rouvre en janvier 2001, les collections sont redéployées selon un parcours chronologique, du néolithique à la dynastie des Qing. Des ensembles importants récemment entrés dans l’orbite public comme les donations de Michel Calmann (1977), Robert Rousset (1978), Christian Deydier (1990), Jacques Polain (1994), Franck Goddio (2000) vont être intégrées dans ce nouvel itinéraire. Aujourd’hui, la collection de céramique chinoise du musée compte plus de huit mille numéros dont quatre cents sont exposés de façon permanente. Avec la réalisation de ce site, le quart de ce patrimoine devient en accès libre.