La dynastie des Yuan (1279-1368)
Pour la première fois de son histoire, l’ensemble de la Chine est dominé par une dynastie étrangère, les Yuan d’origine mongole. À leur arrivée, ceux-ci bouleversent l’ordre social établi en confiant à des étrangers les postes administratifs clé, auparavant détenus par des fonctionnaires lettrés. Néanmoins, la fusion en un seul empire de la quasi-totalité de l’Asie orientale sous la bannière de la « Pax Mongolica » est la pierre de fondation d’une configuration géopolitique nouvelle. Elle favorisera la circulation des biens marchands, et le mouvement des courants artistiques et stylistiques, entraînant des grands brassages religieux et ethniques. Du point de vue du répertoire décoratif des objets d’art ce sont principalement les influences islamiques et tibétaines qui seront mises en valeur. Il est d’ailleurs à noter que les Mongols, peuple nomade, ne manifestent guère d’intérêt pour l’art chinois traditionnel. Ces influences nouvelles conjuguées à la reprise des importations de bleu de cobalt et à l’identification de nouvelles cibles commerciales permet à la céramique chinoise d’entreprendre un tournant décisif.
En dépit de la main-mise étrangère sur les manufactures, il faut se garder de considérer les productions de la dynastie des Yuan comme une parenthèse entre deux dynasties chinoises. À ce titre, certains auteurs tels que Laurence Sickman n’hésitent pas à juger cette époque « comme l’une des périodes les plus créatives de la peinture d’Extrême-Orient ». À bien des égards, cette phase de l’histoire de la Chine constitue un passage à l’ère moderne. En matière de céramique, le développement du décor peint sous couverte infléchit de façon irréversible les orientations esthétiques. Bien que ce principe ornemental était déjà répandu à Cizhou sous les Song avec les grès à décor d’engobe, celui-ci ne connaîtra de succès international qu’avec l’émergence des bleu et blanc. Les premières pièces à décors au bleu de cobalt et au rouge cuivre voient le jour simultanément à Jingdezhen au cours des deux premières décennies du xive. Ces expériences nouvelles sont d’abord menées sur les qingbai, avant la mise au point d’une porcelaine totalement blanche sensiblement à la même époque. Les formes au profil rompu ainsi que les thèmes décoratifs audacieux abandonnent l’élégance des Song au profit de formules vigoureuses imposées par le marché de l’exportation. La rigueur du passé est délaissée au profit des commandes étrangères, la plupart émanant du Moyen-Orient. À de rares exceptions près, il semble que les occupants mongols ne se soient guère intéressés à la porcelaine, ni à d’autre formes d’art. Cependant il demeure indéniable qu’ils aient encouragé le développement de l’artisanat et l’initiative commerciale.
Pour répondre aux besoins de l’exportation, les objets augmentent en dimension et les décors tendent à la surcharge. Les plats par exemple relèvent davantage des habitudes culinaires islamiques que de celles de la Chine pour lesquelles les bols sont mieux adaptés. Une ornementation liées aux conventions du Coran se met ainsi en place, multipliant les motifs géométriques hérités de l’art du métal. Néanmoins, derrière cette configuration étrangère transparaît toujours le naturalisme chinois.
Pour faire face à cette recrudescence des commandes, qui s’explique par l’immensité de l’Empire mongol, des ateliers de plus en plus grands et de plus en plus modernes seront mis en place. Ainsi par le truchement de la céramique, la Chine entrouvre l’ère industrielle qui pour la première fois se met en place à Jingdezhen au cours du premier tiers du xive. La division ergonomique des tâches y verra le jour. Ce système permet d’exécuter de façon rapide et aboutie un nombre de plus en plus important de pièces. Le travail à la chaîne est inventé. À la tête de cette énorme entreprise est placé un directeur étranger, à compter de 1322.
En dépit de l’importante production de bleu et blanc destinée à l’exportation, de nombreux ateliers se consacrent également au marché intérieur. Les découvertes récentes attestent principalement de leur présence dans un contexte bouddhique. Ainsi progressivement aux monochromes hérités des traditions song vont se substituer des bleu et blanc. Toutefois il faut signaler une exception de taille, les shufu, des céramiques blanches produites au Fujian et en usage parmi les élites, voire même à la cour. Cette porcelaine au corps épais et lourd est reconnaissable à sa couverte opaque et onctueuse. Les pièces sont petites, les morphologies souples, plats, bols et coupes à pied, caractéristiques des usages han.
Au nombre des exportations, il faut ajouter les céladons de Longquan. Déjà dès la fin des Song ces grès faisaient l’objet d’un commerce en Asie orientale, avec le Japon et les Philippines. Sous la dynastie des Yuan, les potiers s’adaptent à une nouvelle clientèle au Moyen-Orient qui réclame des œuvres de grandes dimensions. Leur rapide succès est attribué à leur aptitude supposée à détecter les poisons. Ainsi se sont formés des ensembles, comportant parfois plusieurs milliers de pièces comme la collection aujourd’hui conservée au Topkapi Saray à Istanbul. Les productions de Longquan sont exportées jusqu’à l’aube du xve, avec un renouveau au début des Ming caractérisé par des décors d’incisions sous couverte qui s’inspirent de l’ornementation peinte des porcelaines bleu et blanc. Néanmoins, elles finiront pas disparaître, emportés par l’implacable concurrence des artisans de Jingdezhen qui scelle la victoire du décor peint.