Présentation
« Je m'estimerais heureux si j'ai apporté une pierre à l'édifice, si j'ai fait avancer sur un seul point l'histoire de l'art céramique laissant à mes successeurs un vaste sillon à ensemencer et une abondante moisson à recueillir. »
Ernest Grandidier (1833-1912) a consacré sa vie et sa fortune
à la constitution dune collection unique de porcelaines
dExtrême-Orient quil donna de son vivant au musée du Louvre.
Il est celui qui révéla en France la place singulière que tenait
la céramique dans les arts de la Chine et du Japon. Son rôle de pionnier
fut essentiel pour les générations futures, préludant aux
études savantes qui verront le jour au xxe siècle.
De plus, sa collection exemplaire ouvrit la voie à dautres ensembles
qui se constituèrent ensuite.
Né le 2 décembre 1833, sa formation loriente vers une
carrière publique. Sous le second Empire il devient auditeur au Conseil
d'Etat ce qui ne lui interdit nullement de participer à une mission
scientifique en Amérique du Sud pour laquelle il reçoit la
Légion dHonneur. En 1870, leffondrement de lEmpire
le renvoie à la vie civile. Désormais il consacrera le plus clair
de son temps à sa passion : collectionner les œuvres dart.
Dabord intéressé par les livres rares et anciens, à
partir de 1875 il se tourne vers la céramique extrême-orientale.
Cest là quil trouve véritablement sa voie, un engouement
qui ne cessera plus jusquà la fin de sa vie. Faut-il voir dans ce choix
linfluence de son frère, en effet lanthropologue Alfred
Grandidier, auteur de lHistoire de la Géographie de
Madagascar (1885) et de lEthnographie de Madagascar (1908),
rapportera de ses expéditions en Afrique de lEst de nombreuses
céramiques Ming.
Premières acquisitions
Très tôt, il va rencontrer Stanislas Julien (1799-1873), lun des grands sinologues de son temps. Ce membre du Collège de France allait vite devenir son ami, dautant plus quil avait publié en 1856 le Jingdezhen Taolu (« Histoire et fabrication de la porcelaine chinoise »), lune des premières encyclopédies offrant une classification technique et stylistique de la céramique chinoise. A son tour en 1894, Grandidier rédige La céramique chinoise, une étude approfondie basée sur sa propre collection qui illustre et complète les éléments savants traduits du chinois par Stanislas Julien. Ces deux ouvrages édités dans la deuxième moitié du xixe siècle font preuve dune perception étonnamment moderne et pleinement dégagée de lesprit « européocentriste » qui prévalait jusqualors. Ainsi Grandidier saffranchit-il des antécédents académiques. Il est vrai que nous sommes à une époque de grande ouverture : les Celtes, lÉgypte, Assur, Sumer, lInde védique, lAsie du Sud-Est bouddhique, sont autant de nouveaux champs dinvestigation pour les savants européens. Grandidier, quant à lui, découvre sa voie propre dans la céramique dExtrême-Orient, un accès au départ apparemment facilité par trois siècles dimportations de porcelaine de commande. A dire vrai ces premières « Compagnie des Indes » devaient autant à la Chine quà lEurope.
Au début Ernest Grandidier sapplique à en réunir un certain nombre dexemplaires. Toutefois il comprit rapidement quil faisait fausse route et que les véritables créations chinoises étaient dun autre ordre. Son œil progressivement va saffiner et simprégner des valeurs qui sont celles des élites chinoises. En cela son rôle de novateur est indéniable et ne cessa de sapprofondir jusquà la fin de sa carrière de collectionneur. Ses critères seront ceux des connaisseurs chinois sattachant dabord à la pureté de la matière et à la sobriété du langage.
Le marché et le musée
Autre question essentielle, la formation dune telle collection dépendait de ses sources dapprovisionnement. Comment dans lEurope de la fin du xixe siècle se procurer des œuvres de qualité ? Grandidier eut la chance de vivre dans un Paris où les grands marchands dart étaient légion. Ainsi limportateur M. Sichel, exposait en permanence ses récentes découvertes dans son grand appartement de la rue Pigalle. Personne ny était autant assidu quErnest Grandidier. Les marchands parisiens MM. Heliot, Bing et Madame Langweil, contribueront également à lenrichissement de sa collection. Les exigences conjuguées des clients comme celles des vendeurs vont susciter lentrée en France dœuvres de qualité qui passeront dans les galeries privées ou en ventes publiques. A ce propos, le catalogue de la collection Grandidier se fait lécho de cette évolution du goût et constitue une source inestimable de renseignements sur le commerce dart de l époque.
Ce dynamisme apparent du marché de lart parisien, malheureusement navait guère dinfluence directe sur le monde des musées français. Ernest Grandidier déplorait ce fait. Les collections publiques ne conservaient alors que des céramiques tardives, souvent destinées au marché européen. Cette situation était fort différente dans les pays anglo-saxons. Anglais et Américains collectionnaient déjà avec enthousiasme les créations des potiers Song (960-1279), Yuan (1279-1368) et Ming (1368-1644) et prisaient également les monochromes. Ernest Grandidier, conscient de ce retard, sappliquait à son tour à réunir des pièces du même ordre. Bien quil admît volontiers que les goûts des Français étaient différents, portés plutôt vers les décors démaux polychromes, en homme éclairé il ne rejeta ni ne dédaigna aucune période et aucune technique, élargissant même son champ aux créations du Japon.
Une exigence croissante
La formation de sa collection est révélatrice de son évolution. Il débute entre 1875 et 1880, par les porcelaines à décor polychrome dites de la Famille verte et de la Famille rose. Son insatiable quête devait bientôt le conduire à vendre sa propriété des environs de Corbeil, littéralement « convertie en porcelaine » selon les mots fameux de Raymond Koechlin. Dans cette quête effrénée, trois critères vont le guider : la pureté du matériau, la perfection des formes, et la vivacité des motifs, recherchant autant les couleurs intenses que les nuances délicates. Cette collecte passionnée lui permet de réunir déjà un ensemble considérable de plusieurs milliers pièces.
Dans les années 1890, afin de pallier la carence des musées français dans ce domaine, alors quen Angleterre et au Pays-Bas des institutions publiques se mettent en place, Ernest Grandidier se décide à faire don de sa collection à lEtat. Il installera lui-même sa donation en 1894 dans la Galerie du bord de leau au Louvre. Au départ les espaces qui lui sont dévolus sont trop restreints et ne lui permettent quune exposition partielle. Quelques pièces, sont alors déposées au musée de la céramique de Rouen. Avec le temps de nouveaux espaces lui sont accordés et il en assurera la mise en place dans les moindres détails, une réalisation qui fut couronnée de succès. Nommé conservateur, pleinement impliqué dans cette affaire, salué par le public, il sut convaincre même certains de ses amis, tels Huard, Gentien, Tissandier et Demazière, à suivre son exemple généreux. Sa fonction officielle au sein du Louvre va lui permettre de poursuivre son œuvre investigatrice et denrichir le fonds en consacrant ses honoraires personnels aux nouvelles acquisitions.
Dans les années 1895 à 1910 de nouveaux cantons de lhistoire chinoise sont abordés. Les travaux ferroviaires qui commencent à sillonner lEmpire du Milieu vont occasionner de nombreuses trouvailles fortuites. Ce sont alors des vestiges inattendus en particulier des statuettes funéraires anthropomorphes ou zoomorphes qui furent accueillies comme de véritables curiosités en Occident. Ces pièces inédites révèlent un passé lointain remontant aux dynasties des Tang (618-907) et Han (206 avant notre ère-220 de notre ère). Grandidier toujours à laffût des dernières découvertes sut saisir cette opportunité et acquérir des œuvres insignes de ces potiers de lAntiquité chinoise. Ainsi sinscrivait-il dans le sillage des grands découvreurs que furent Edouard Chavannes (1865-1918) ou plus tard Victor Segalen (1878-1919) qui à partir de 1892 organiseront des expéditions scientifiques. Cette série dévénements va contribuer à documenter lextraordinaire continuité de la civilisation chinoise. Grandidier, de plus en plus conscient que sa collection devait offrir un panorama complet de lhistoire de la Chine, va sefforcer dacquérir les jalons manquants. Au cours de cette décennie il achète nombre de monochromes Song (960-1279) et de bleu et blanc Yuan (1279-1368) ou Ming (1368-1644). Ainsi comblait-il les lacunes offrant au public une rétrospective de la céramique chinoise dans son développement sur plus de deux millénaires.
Une destinée remarquable
Quand Ernest Grandidier mourut, il avait accompli son rêve léguant aux collections publiques un patrimoine inestimable. Bien quun siècle se soit écoulé depuis, il demeure aujourdhui encore comme lun des principaux donateurs des musées nationaux, avec un fonds riche de plus de six mille numéros. Après sa disparition, Gaston Migeon, Jean-Joseph Marquet de Vasselot et Georges Salles prendront successivement le relais. En 1932 entre la collection de Raymond Koechlin, des œuvres de la dynastie des Han et des Tang venant renforcer la donation Grandidier. A partir de 1945, la collection sera transférée au musée Guimet alors promu au rang de département des Arts asiatiques des Musées nationaux. En 1948 la nouvelle galerie Grandidier sera installée au deuxième étage du bâtiment de la place dIéna par Daisy Lion-Goldsmidt et Madeleine Paul-David puis rénovée en 1980 et réhabilitée en janvier 2001.